[Internazionale] LE MONDE Racisme : le syndrome de Rosarno
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Wed Feb 3 02:16:31 CET 2010
"LA SINDROME DI ROSARNO"............sembra proprio cosi' anche a loro!
LE MONDE
Racisme : le syndrome de Rosarno
Mis à jour le 02.02.10 | 16h07
Deux voitures carbonisées mises tête-bêche contre un tas de pneus usagés. A la
sortie de Rosarno, sur la route qui traverse la plaine calabraise en direction
de Gioia Tauro, ce sont les seuls signes visibles des affrontements qui, les 9
et 10 janvier, ont opposé une partie des immigrés africains à des habitants de
cette petite ville calabraise de 15 000 habitants. Non loin, deux policiers
surveillent l'entrée d'un immense hangar où, par centaines, les Africains
passaient la nuit pendant la saison de la récolte des agrumes. Un peu de repos
entre deux journées de douze heures, payées 25 euros.
Aujourd'hui, plus personne ne vient plus trouver refuge dans ces courants
d'air. "C'est étrange de voir Rosarno sans ses Africains", se désole Damiano,
16 ans, élève du lycée La Piria. Avec sa copine Erika, il avait organisé des
cours d'alphabétisation pour les immigrés et un spectacle à Noël. "Les immigrés
se trouvaient bien à Rosarno, assure-t-il. C'est seulement une petite minorité
qui a voulu les chasser." "Nous avons prévenu les autorités régionales,
locales. Photos à l'appui, rappelle Don Ennio Stamile, délégué régional de la
Caritas pour la Calabre, l'organisation catholique internationale à laquelle
l'Etat italien semble avoir délégué une partie de sa politique sociale. Les
conditions de vie des immigrés étaient insupportables, un jour ou l'autre cela
devait arriver. Mais personne ne nous a répondu."
En deux jours de violences, Rosarno est devenue le symbole de l'infiltration
mafieuse dans l'agriculture locale, de l'intolérance à l'égard des étrangers,
d'une forme d'esclavage moderne et de l'impuissance de l'Etat. Président de la
République, premier ministre, parlementaires défilent en Calabre. On vient à
Rosarno pour comprendre. Pourquoi, dans un pays qui a vu émigrer 27 millions de
ses habitants à travers le monde, 1 500 Africains ont-ils été terrorisés puis
chassés à coups de chevrotine et de manches de pioche ?
Alessandro Campi, directeur scientifique de la Fondation Farefuturo, proche de
la droite, interprète les événements de Rosarno comme "un signal". "Mais,
interroge-t-il, comment intégrer des étrangers alors que le pays n'a pas encore
trouvé son identité 150 ans après la naissance de l'Etat italien ? Nous restons
profondément divisés, immobiles, accrochés à nos identités locales.
L'intégration suppose une mobilité sociale et une forme d'unité autour d'un
projet." A ses yeux, la société italienne n'a "ni l'un ni l'autre". "Nous nous
contentons de gérer les urgences dans une forme d'éternel présent."
A Rosarno, on a d'abord pointé le rôle présumé de la 'Ndrangheta (la mafia
calabraise). Une enquête est en cours pour tenter de savoir si les familles
mafieuses qui règnent sur l'économie locale n'ont pas volontairement provoqué
la "chasse aux Noirs" de Rosarno pour faire déguerpir ces immigrés devenus
inutiles, dès lors que les subsides de l'Union européenne rapportent plus aux
exploitants que la vente des oranges, des mandarines et des kiwis. La faute à
la Camorra (la mafia napolitaine) avait-on dit, également, quand, en septembre
2008, à Castel Volturno (Campanie), sept Africains avaient été proprement
exécutés.
La faute de voisins excédés, avait-on entendu après les incendies, au
printemps et à l'été 2007, de plusieurs camps roms à la périphérie de Naples et
de Rome... L'explication est en partie vraie. Mais il a fallu un article du
quotidien du Vatican, L'Osservatore Romano, le 11 janvier, pour mettre les
pieds dans le plat : "Non seulement écoeurants, les épisodes de racisme dont la
presse se fait l'écho nous ramènent à la haine muette et sauvage envers une
autre couleur de peau que nous croyions avoir dépassée (...). Nous n'avons
jamais brillé par notre sens de l'ouverture, nous Italiens du Nord au Sud."
Vérone, 260 000 habitants, dans la très riche Vénétie, à 1 000 km au nord de
Rosarno. Ici, règne le parti anti-immigré de la Ligue du Nord. A l'hôtel de
ville, Flavio Tosi, le jeune maire leghiste, élu en 2007 avec 60 % des voix,
vient d'être condamné définitivement pour propos racistes à trois ans
d'interdiction de meeting. Y aurait-il un lien de cause à effet entre son
discours et celui de son parti et les événements de Rosarno "La Ligue n'existe
pas en Calabre. Pourquoi voulez-vous que nous soyons responsables ?"
Pourtant, c'est bien ce parti, fort de quatre ministres dont celui de
l'intérieur, qui multiplie les provocations racistes. La "criminalisation" de
l'immigration clandestine, passible aujourd'hui de six mois de prison, c'est la
Ligue. La légalisation des "rondes citoyennes" pour faire régner l'ordre et la
tranquillité ? C'est elle. L'opération "Noël blanc" dans une petite ville de
Lombardie pour recenser et expulser les immigrés clandestins avant les fêtes ?
Encore elle.
La thématique électorale est gagnante : la Ligue pèse près de 30 % des voix
dans certaines provinces du Nord et son influence gagne du terrain. "Pour la
première fois en Italie depuis le fascisme, des formes de racisme sont assumées
au sommet des institutions, explique Enrico Pugliese, sociologue à l'université
La Sapienza, à Rome. Cette légitimation de la xénophobie conduit à des
orientations violentes et de plus en plus explicites."
Dans la ville de Romeo et Juliette, les immigrés représentent 13 % de la
population. Ils sont devenus invisibles, relégués dans les quartiers
périphériques. La paix sociale, pour le maire, repose sur un seul pilier : la
règle. "Le maire précédent était trop laxiste, explique-t-il. Il a laissé les
immigrés s'installer partout, dans les parcs et les jardins de la ville. Les
habitants avaient peur. Nous, nous avons multiplié les contrôles. Les étrangers
doivent savoir qu'ils ne peuvent pas vivre chez nous comme ils vivaient chez
eux. L'Italie n'est pas un pays raciste, mais ceux qui ne sont pas en règle
doivent être punis."
Les punis, ces immigrés qui n'ont pour seuls papiers qu'un permis de séjour
périmé et un avis d'expulsion, nous les retrouvons à Caserte (Campanie). La
"Tente d'Abraham" est l'un de ces nombreux centres d'accueil pour quelques-uns
de ces Africains qui sont parvenus à rejoindre l'Italie par la mer avant que la
signature d'un accord de refoulement avec la Libye ne tarisse ce flux
d'immigration. Coincé entre deux terrains vagues, ce bâtiment moche abrite 70
personnes alors qu'il est prévu pour en héberger une vingtaine. On y dort à 6
ou 8 par chambre.
Assim, arrivé du Togo il y a un an et demi, raconte : "Tous les jours, vers 4
h 30, nous nous rendons sur un des ronds-points de la ville. Les employeurs en
bâtiment viennent nous prendre. D'autres fois, ce sont les exploitants des
plantations de tabac. Les journées durent du lever du jour à la tombée de la
nuit. Je suis payé 25 euros par jour." Le donneur de travail n'embauche jamais
deux fois de suite les mêmes immigrés, de peur d'être reconnu et dénoncé. "Il
vous arrive d'avoir des bons contacts avec eux ?", demande-t-on. "Ils nous
prennent pour travailler, pas pour prendre de nos nouvelles", cingle Michel
Djibo, un Ivoirien.
Sortir, avoir des contacts avec la population ? Trop risqué. Trop humiliant
aussi. "Dans les bars, si on commande un café, il nous est servi dans un
gobelet en plastique. Comme si on avait la maladie." Mamadou, Ivoirien, a des
larmes plein les yeux : "La vie est trop difficile ici. Il faut un papier avant
de pouvoir commencer à vivre, à travailler, à trouver un logement. Les Noirs
vivent mal, mal, très mal. On est malheureux, emprisonnés. Les Italiens nous
considèrent comme des chiens. Non, même pas. Les animaux sont mieux traités que
nous." Gian Luca Castaldi, qui gère ce centre d'accueil, tente une explication
: "Ce n'est pas forcément du racisme de la part des Italiens, mais de l'envie.
Pour un jeune du coin, le maximum de l'ambition sociale est d'obtenir une
indemnité de chômage. Ils voient arriver des types qui ont risqué leur vie pour
faire des boulots dont eux ne veulent même pas. Au fond, ils envient leur
courage."
Réduits à une forme d'esclavage, ces immigrés n'ont pas choisi l'Italie par
hasard. Des secteurs entiers de l'économie, le bâtiment et l'agriculture,
reposent sur l'exploitation des clandestins. Moins ils sont en règle, plus ils
sont malléables et corvéables. "Les immigrés continueront à défier toutes les
lois, même les plus restrictives, tant qu'ils sauront qu'en Italie il n'y a pas
besoin de permis de séjour pour travailler", écrit l'économiste Tito Boeri,
dans La Repubblica.
La situation ne fait qu'empirer. Alors que la loi prévoit un délai maximum de
vingt jours pour obtenir le renouvellement du permis de séjour, les immigrés
doivent désormais attendre entre cinq et dix-huit mois pour obtenir ce
document. Volonté délibérée de la part de l'administration de laisser cette
population dans la fragilité afin de l'exploiter davantage ? "La loi produit
volontairement la clandestinité. C'est une forme de discrimination
institutionnelle", répond Shukri Saïd, fondatrice de l'association Migrare, qui
a mené une longue grève de la faim pour dénoncer les lenteurs de
l'administration.
Directeur de l'institut d'études sociales Cencis, qui ausculte depuis plus de
quarante ans la vie des Italiens, le sociologue Giuseppe de Rita assure, lui,
que "les Italiens ne sont pas plus racistes que le reste des Européens
confrontés à l'immigration, mais sont habités d'un sentiment de supériorité".
"Les Napolitains, explique-t-il, ont essayé de rouler les Américains quand ils
les ont libérés en 1943. Les Italiens s'imaginent toujours plus forts que les
derniers arrivés."
Philippe Ridet
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